High Maintenance in Toulouse

13 June 2009

La basse est éternelle, c'est le coeur qui bat



Au moment où la scène dubstep s'infiltre au sein de l'ensemble des courants musicaux actuels, y compris la pop mainstream, elle se doit d'affronter les tensions inhérentes à tout mouvement dont l'audience est croissante. De fait le courant est soumis à des dynamiques centrifuges qui menacent son unité et le soumettent à des risques d'implosion et d'éclatement de plus en plus prégnants. Si le dubstep, émergeant au début des années 2000 sur les cendres du uk garage, avec des producteurs comme Horsepower Productions ou El-B, n'est au départ qu'une confédération de genres hétéroclites, la scène trouve tout de même vers 2003-2004 une identité sonore affirmée ou à tout le moins une affinité musicale partagée par l'ensemble de ses acteurs , identité que cimentent des médias spécifiques (la radio pirate londonienne Rinse Fm), des soirées dédiées au genre en devenir (Fwd) et des labels militants (Tempa, Hyperdub, Hot Flush, Deep Medi). Constitué avant tout d'un tempo halfstep promu par Digital Myztikz, calé sur le dub, et des tricks de production issus de la jungle, le genre célèbre essentiellement la continuité de la culture breakbeat hardcore anglaise qui, après l'exctasy, serait massivement retournée au spliff. De plus, l'élément coagulateur essentiel réside en la volonté de l'ensemble des tracks de privilégier l'abstraction musicale face au commentaire social hyperréaliste promu par le grime, cousin germain du dubstep, avec lequel il partage la même parenté uk garage. L'emphase est donc mise sur les sons de basses enveloppants censés projeter l'auditeur hors du monde, quand le grime met avant tout en scène le mc, chambre d'écho des existences prolétarisées ou vecteur d'un ego trip désolant, la musique faisant surtout tapisserie. Mais comment demeurer sur cette position isolationniste lorsque l'on devient de plus en plus populaire ? Condamnée à évoluer musicalement à mesure qu'elle grossit, la scène s'ouvre et s'hybride au risque de perdre sa cohésion interne, d'autant que les directions choisies sont multiples et souvent opposées. Petite revue des dynamiques en présence qui peuvent bien sûr se superposer et fonctionner selon le principe de la fertilisation croisée...

Le canal historique, gardien de l'orthodoxie dubstep, regroupe les acteurs pionners de la scène à l'instar de Skream, Benga, Mala ou Pinch. Bien que ne s'interdisant pas l'innovation, loin de là, la majorité de leurs productions respecte les canons du genre, circa 2003-2004 : tempo halfstep, basses dub, références dread, nappes atmosphériques.

Skream - Trapped In A Dark Bubble
(Extrait de Tectonic Plates Vol.2 (Tectonic / 2009) en vente ici)

Les partisans de l'axe Londres-Berlin : l'environnement sonore de plus en plus abstrait du dubstep trouve, à partir de 2004-2005, un écho favorable chez les fans de techno minimale allemande (version Basic Channel) qui, en retour, influencent les producteurs dubstep dont le son s'oriente vers des rythmiques marquées 4/4. Les tracks de Shackleton, Appleblim ou Ramadanman exemplarifient parfaitement cette tendance lourde. Si le résultat s'avère parfois intéressant, c'est au prix d'un abandon progressif de tous les éléments hardcore qui reliaient le dubstep à la scène underground anglaise (samples vocaux cheesy, références dread et jungle, rugosité des breakbeats, sons rave), auxquels se substitue un son plus clinique, plus lisse, plus en phase avec la tradition techno continentale.

Appleblim & Ramadanman - Sous Le Sable (Aus Music / 2009)

D'une certaine manière, on constate le même phénomène avec les chantres de la gentrification représentés par Martyn, 2562 et toute une cohorte de suiveurs. Souvent issus de mouvements musicaux sur le déclin (deep house ou broken beat), les acteurs de l'embourgeoisement du genre opérent la même purge des éléments hardcore et tentent d'inscrire le mouvement dans la filiation Detroit en proposant une succession d'éléments soul censés légitimer leur profondeur musicale (références jazzy, nappes mélancoliques, cordes, samples vocaux conscious, breaks proprets). Là encore le résultat peut s'avérer tout à fait entousiasmant mais on mesure trop à quel point c'est aussi une tentative de trentenaires pour intégrer la playlist de Gilles Peterson.

Martyn - Far Away (Extrait de Great Lenghts (3024 / 2009) en vente ici)

Les revivalistes uk garage quant à eux ne jurent que par la rythmique 2step et nous replongent à la fin des années 1990 à coup de divas samplées mimant le plaisir charnel ou la déception amoureuse. En ce sens, ils produisent un son nettement plus funky et dynamique, à l'instar des réalisations de Sully, Silkie ou TRG, l'un des tout meilleurs producteurs en activité.

Sully - Duke St Dub (Mata-Syn / 2009)

De la même façon, le breakstep, présent dès le départ du mouvement, s'organise essentiellement autour d'une rythmique plus soutenue sur laquelle divaguent des éléments ambiants. Le résultat sonne la plupart du temps comme de la jungle passée en 33t si l'on en juge par les productions de Search & Destroy, Reso ou Dubchild.

Search & Destroy - Day Break (Destructive / 2009)

Les w****y boys (le terme wonky étant massivement rejeté par ses acteurs pour qualifier le sous genre) tentent de détourner le dubstep de son essence fonctionnaliste, en clair de cassser sa matrice rythmique, en y intégrant des éléments plus hip hop, grime et electronica. Souvent produit par des acteurs situés en périphérie de la scène comme Starkey, Zomby, Jaimie Vex'd ou Joker, le son w***y jouit d'une influence grandissante à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du mouvement.

Starkey - Miracles (Jamie Vex'd remix) (Planet Mu / 2009)

Les propagandistes de la basse wobble incarnent le dubstep tout entier aux yeux des novices tant ceux-ci noyautent aujourd'hui le dancefloor à coup de bangers. Basé sur un pilonnage continu d'infrabasses au service d'un tempo accéléré, le wobble reflète essentiellement les préoccupations masturbatoires de producteurs à la juvénilité virile tels Caspa, Rusko ou DZ. Renversant la proposition abstraite initiale du dubstep, le son insiste avant tout sur la physicalité club, parfois avec jouissance, mais on a toujours quand même préféré l'amour à plusieurs. Son efficacité apparente lui permet d'intégrer progressivement la sphère ghetto bass mondiale malgré un sérieux déficit de créativité et des morceaux trop souvent restés bloqués au stade anal.

Caspa - Rat-a-Tat Tat (Extrait de Everybody's Talking Nobody's Listening (Fabric / 2009) en vente ici)

Enfin les avant gardistes proposent de faire fructifier l'héritage de la scène en respectant les fondamentaux, tout en proposant un futur au genre à coup d'emprunts extérieurs et d'hybridations avec d'autres courants. Beaucoup font émerger un son post-Burial qui sonne comme de l'electronica à l'instar de Spatial ou Mount Kimbie. Des producteurs clés tels que Kode 9 ou Dusk & Blackdown explorent également de nouvelles pistes (funky house, banghra, dancehall), tout en se référant à l'identité sonore initiale. Tous partagent la préoccupation de renouveler le genre, de l'ouvrir, tout en évitant de le voir se dissoudre dans d'autres. En clair, ils demeurent les garants, à l'instar du canal historique, de l'unité du mouvement et tant que la basse est là, l'espoir d'un dubstep flamboyant peut demeurer.

Spatial - 90113 (Infrasonics / 2009)

Kode 9 - Black Sun (Hyperdub / 2009)


4 comments:

Dahut said...

Chapô, jvais écouter tout ça

GROOVUP said...

Nikki encore du vrai bon boulot, merci. C'est tout simplement excellent.

Pet said...

Superbe exposé de la situation du dubstep, Nikki ! J'ai lu ce post un peu tardivement, mais avec un énorme intérêt car il m'a permis de parfaire mes connaissances des caractéristiques des divers courants : lecture à conseiller à tout amateur du genre !

Tassin said...

Je rejoins Pet à 100%.
Dommage que tu sois passé un peu à coté du courant "hardcore" qui voit un peu le jour avec des artistes comme Excision, Reso, Triage, Datsik, SPL... avec des ambiances extremement sombres, des woobles (mis pas cheap à la rusko), des beats complexes et compos assez variées (pour du dubstep).